Judens plats i världen

Place du Juif dans le monde ― et châle pour châle

Depuis la première destruction du Temple, annars innan innan, Juden gör inte mer skydd. Och han har knappast några platser. Il est dès lors l’objet en du monde. Il est à la fois pris pour le déchet de celui-ci et validé comme son agalma, soit cette brillance qu’on accorde aux Juifs, et déjà dans les autres monothéismes. Mais il ne faut pas qu’une telle brillance, éclatante et jetant tous ses feux, implique que ces feux soient des coups de feu, des coups de canons, ou autres éclats mortels, par drones, missiles… D’une certaine façon je réfère ici à Éclats de l’objet de François Baudry. Il est vrai que le Juif est éclaté ― et pas seulement dans la diaspora.[1]

Suis-je en droit de porter un tel concept de la psychanalyse (l’objet en) au social, à la politique, à la destruction, aux génocides, ?

Je considère que ― si oui ― on fait jouer au Juif le rôle d’obturer l’ouverture du monde, ou l’ouverture au monde, et ceci sous des prétextes variables. C’est bien dès lors ce qu’on lui reproche. D’avoir ― collectivement dit-on, d’où la notion en elle-même a priori destructrice de « responsabilité collective » ― tué Dieu, soit d’empêcher d’opérer la fonction phallique comme ouverture signifiante du monde. Le Juif présenté comme jouisseur est ainsi l’empêcheur de jouir. On en oublie (c’est un choix politique) de le « normaliser ». Pourtant il est lui aussi traversé des contradictions du politique, c’est-à-dire de la sphère politique.

Malgré tout on prend les Juifs chacun tout d’une pièce (de monnaie : rappel de l’usurier et donc de ce qu’il en est de l’usure, mais uti non abuti, dit l’adage), ce n’est pas sans conséquence sur la jouissance : il faudrait s’en tenir à une fruition dans son bon usage, c’est-à-dire en évitant d’en abuser. Mais peut-il y avoir un plus-de-jouir sans abus ? Faut-il vraiment s’en tenir à la modération prônée par l’Éthique à Nicomaque ?

Donc le Juif est, lui aussi, refendu ― et de là barré comme tout sujet ―, l’on veut même en faire le paradigme de cette coupure à laquelle on veut quand même éviter (perversement) de se rendre (cet évitement va à l’opposé de ladite Père-version, qui est fondatrice et nullement perverse[2] ― fondation énamorée du narcissisme primordial, fonction Père et fonction phallique conjointes, soit l’assise évidée de tout sujet). Aussi, y compris pris en masse, les Juifs ne sont pas tous identiques à l’image que l’idéologie d’une Nouvelle Alliance veut en donner : en Israël, comme ailleurs, gauche et droite s’affrontent, d’où la fuite en avant dans la guerre et le quasi génocide quand bien même démenti, par quoi un certain « fascisme » fondé de religieux trouve un regain d’existence[3]. Et ladite gauche n’a guère de succès en Israël, surtout que les médias, au moins en France, ne diffusent pas ses options. C’est en fait comme ailleurs dans le monde : Chine, Russie, USA, pays d’Europe, Amérique latine ― c’est le capitalisme dominant qui implique cet autoritarisme, disons (voir Kojève), qui supprime tout choix et bouche la coupure du sujet tout comme, à l’image qu’on veut idéologiquement donner de celui-ci (comme, à l’envers, l’homme serait à l’image de Dieu, et le Fils de Dieu, Fils de l’Homme, est lui-même Image, absolument), aucune scission sociale n’est acceptée. Et l’image du Juif ― responsable des malheurs du monde ― bouche les oppositions productives, les tensions opératoires, en l’évacuant lui-même, ce Juif, et radicalement dans les crématoires nazis. Ce rappel ne justifie rien de l’actualité, mais n’est sûrement pas à omettre ni même à oblitérer par des images perverses et proprement prêtes à porter.

Il y a quelques années, glabre et en particulier chauve, pour raison de chimiothérapie, j’ai porté des chéchias pour me couvrir le crâne (une kippa ne tenait pas). J’en suis resté copain avec mon boulanger (d’origine) algérien(ne). Je comprends que Jérémie Richir ― en dehors de ses raisons logico-politiques ― porte le keffieh : den talit gadol ne se porte pas en dehors de la synagogue, je veux dire : de la prière. Den talit katan est autrement discret. Les franges impliquent des tresses dont, tant les franges que les nœuds (quipus incas, ou cordes océaniennes) ont valeur de mémorisation de ce qui n’est pas toujours (voire toujours pas) écrit. Un rapport à l’écrit est de toute façon ici en action.

Les franges (tsitsit, frange ou tresse) portent chacune cinq nœuds. Rappel de la sanctification de chacun, en particulier par la bénédiction à réciter (B’rakha). Les nœuds des franges comptent plus que le châle lui-même, dirais-je.

À quoi j’ajoute que l’objet en reste masqué par ces histoires de châles et de nœuds. Est-ce à dire que le Juif s’avance masqué ? (Nous ne sommes cependant pas dans L’éveil du printemps.) Qu’il soit masqué implique là encore de contourner cette opposition entre l’ouvert et le fermé par une marque. L’Histoire a de toujours utilisé une telle marque, y compris au Moyen-Orient, dans l’usage de tel ou tel couvre-chef. Ainsi du chapeau jaune conique à boule, passé d’Allemagne en Italie. Et ce depuis le Concile de Latran (1215). La marque infamante (et désignant Juifs et sorciers) a été retournée par les rabbins en signe distinctif valorisant ― de là le passage de la kippa dans la liturgie. (Les catholiques se décoiffant dans une église.) Chapeau, rouelle ou étoile jaunes ont été les index de la ségrégation parfois retournée en faveur (?) des Juifs ― dans tous les cas pour éviter les mariages mixtes. Donc tout cela se présente sur fond de sexualité et de jouissance scindée en jouissance phallique et en jouissance de l’Autre, Lust och Unlust. Et nos discussions en sont elles-mêmes marquées.

[1] Voir El estallido, colloque de 2020, sur l’éclatement de l’univers du discours et El estallido (II) DE 25-26 Januari 2026.

[2] Freud, dans son texte sur l’Ichspaltung, oppose le clivage entre obligation et interdit (satisfaction pulsionnelle et menace de castration) et son contournement, cette fois pervers, par un fétiche qui fait lien.

[3] Pour le coup cette fuite en avant est perverse et l’effet d’une facticité imaginaire débouchant sur une facticité réelle.

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