Fin 1959, Lacan s’interrogeait sur, dixit, la « carence d’élaboration théorique et pratique du sexuel » : « Pourquoi l’analyse qui a apporté un changement de perspectives si important sur l’amour en le mettant au centre de l’expérience éthique, qui a apporté une note originale, certainement distincte du mode sous lequel l’amour jusqu’alors a été situé par les moralistes et les philosophes dans l’économie de la relation interhumaine, pourquoi l’analyse n’a-t-elle pas poussé les choses plus loin dans le sens de l’investigation de ce que nous devrons appeler à proprement parler une érotique ? »

Et aujourd’hui, sommes nous tranquilles avec l’Eros freudien ? Que la sexualité ait fait l’objet d’interventions théoriques et politiques jusqu’à plus soif (dans le monde analytique, philosophique, littéraire), est-ce un argument pour considérer qu’elle ait été vraiment élaborée ?

Freud a parlé de pulsions et de sexualités sur de très nombreux plans, mais il y a un choix à faire pour notre orientation, et il s’agit bien ici d’orientation éthique. Et bien cet axe, nous le prendrons dans les conférences de 1933 :

« La théorie des pulsions est notre mythologie. Les pulsions sont des êtres mythiques (mythische Wesen), formidables dans leur indétermination (Unbestimmheit)»[1].

Le mythe, c’est à dire le langage (parole, langue, écriture, mathème). Il est urgent de souligner la nature signifiante de la sexualité humaine, au moment de notre histoire où sévissent la réduction biologisante des corps, l’essentialisation de la différence des sexes (« genres » univoques et réifiés), la réduction pornographique (et consumériste) des relations amoureuses (Tinder et consors). Ces exactions, propres au mode néolibéral du nihilisme occidental (scientiste), qui ont leur pendant dans l’obscurantisme religieux sur ces questions qui fait florès un peu partout dans le monde.

Reste à savoir ce que Lacan peut bien vouloir dire par « élaborer » l’érotique. Nous serions bien avisés de répondre : élaborer l’érotique comme langageet non comme réalité biologique ou social. Au fond, la question de la psychanalyse à l’endroit de l’érotique n’est pas tant : qu’est-ce que la sexualité ? (Question ontologique) – mais plutôt : comment la sexualité s’élabore comme langage ? Et pour aller plus loin : comment la sexualité et la pulsion s’élaborent comme mathème ? C’est bien pourquoi Lacandans la première séance du séminaire Encore parle d’espace de la jouissance.

« J’avancerai ici le terme de compacité. Rien de plus compact quune faille, sil est bien clair que quelque part il est donné que lintersection de tout ce qui sy ferme étant admise comme existante en un nombre fini densembles, il en résultecest une hypothèseil en résulte que lintersection existe en un nombre infini [→Φ]. Ceci est la définition même de la compacité[2]. Et cette intersection ..étant ce qui couvre, ce qui fait obstacle au rapport sexuel supposé.. Tel est dénommé le point qui couvre, qui couvre limpossibilité du rapport sexuel comme tel. La jouissance en tant que sexuelle est phallique, cest-à-dire quelle ne se rapporte pas à lAutre comme tel. »

La compacité de cet espace de la jouissance sexuelle va de pair avec de pair avec la négativité des propositions (mathèmes) lacaniennes de la jouissance (ratage, faille, faillir, falloir, ne pas falloir, béance, inexistence..) : « Encore » cest le nom propre de cette faille doù, dans lAutre, part la demande damour. »« La jouissance de l’Autre..du corps de l’Autre qui le symbolise, n’est pas le signe de l’amour »[3]« Le nécessaire en tant quil ne cesse de s’écrire , cest que ce qui se produit cest la jouissance quil ne faudrait pas. Cest là le corrélat de ce quil ny ait pas de rapport sexuel. »[4]

Cette négativité n’est pas à prendre au pied de la lettre comme un vide ontologique : elle est plutôt l’indication qu’il ne s’agit, dans l’espace de jouissance, que de fonction signifianteaucun réalisme (de complétude ou d’incomplétude) n’étant de mise. Le signifiant n’est qu’une hypothèse qui suppose ce qui est censé la soutenir : il y a donc une béance d’ontologie (« inexistence »), mais une effectivité logique (fonctionnelle). Cette structure hypothétique, c’est la compacité. Le mythe : l’hypothèse, le Père.

This entry was posted in Ohne Kategorie. Bookmark the permalink.