Il n’y a pas de métalangage

« IL N’Y A PAS DE METALANGAGE » (LACAN),

PAS PLUS QU’IL N’Y A D’« EXTRATERRITORIALTE » !

 

C’est parce que la parole témoigne de la signifiance tout en faisant écho à la structure du sujet, qu’elle contient et véhicule la négation fondamentale qui s’oppose à tout métalangage prétendant suturer l’incomplétude propre au symbolique. Le symbolique se soutient de cette articulation dialectique spécifique qu’est la moebianité pour s’associer aux deux autres dimensions : l’imaginaire et le réel, sans lesquelles il ne conserverait pas sa particularité ni sa raison d’être. Invoquer la topologie et laisser croire qu’elle pourrait suppléer à cette incomplétude structurale, (« béance causale » LACAN) revient à dénoncer et à dénier l’inconscient en tant qu’il s’oppose radicalement à toute xénopathie et exclut cette « hommosexualité » qui rejette la féminité induite par la fonction paternelle. Un tel projet pervers consiste à maudire le « mi-dit » et à « médire » du dire qui fait échec à toute promesse de suture de l’écart irréductible entre le signifiant et le signifié. L’aire du signifiant implique des errances qui témoignent de l’absence irrévocable de toute « extra-territorialité » chez les « êtres parlants », (cf. les « erres » que Fernand DELIGNY travaille avec certains enfants autistes et psychotiques), nullement réductibles à leur seule appartenance ethnique et/ou confessionnelle qui nourrit la paranoïa et la débilité, sources d’errements funestes et mortifères. Ces errances dans le champ symbolique sont d’autant plus fécondes qu’elles se heurtent aux limites infranchissables que le signifiant impose en tant qu’elles sont indispensables pour configurer des réels différents qui traduisent tous une impossibilité : celle d’être outrepassés et transgressés, même si c’est sous la forme de pathologies portant gravement atteinte à la structure du sujet.

L’ineptie théorique que représente le recours à une topologie dégradée en « métalangage », porte gravement préjudice au discours analytique et pervertit la pratique qu’il détermine et soutient. La topologie ne saurait arrêter définitivement les errements provoqués par la prédicativité ontologique, dont la présence est constante et nécessaire pour créer les conditions favorables à son évidement. Or, ce dernier, comme processus, n’est possible que par les biais qu’offre la parole pour qu’advienne un autre discours dont l’apport principal consiste en la mise en valeur de la signifiance en tant qu’elle est fondée précisément sur cette incomplétude du symbolique. Cette signifiance est induite par le dire qui s’efface dans l’objectivation qu’il engendre, et reste insu, mais non sans effets cependant. Elle reste implicitement active derrière toute objectalisation extensionnelle et peut éviter au processus d’objectivation de s’abîmer dans une réification psychotique, hermétiquement réfractaire à toute dialectique asphérique, malgré les effets plus ou moins probants du « troumatisme » causé par l’ancrage dans l’ordre symbolique.

Est-ce que ce qui ressortit fondamentalement à la structure du sujet et qui induit un insu insaisissable en soi, mais appréhendable par ses effets, est-il « soluble » dans un savoir prétendant maîtriser cet insu issu de la dépendance du signifiant ? La dialectique asphérique que cette dépendance peut apporter provient du « mi-dit » que l’articulation signifiante implique et propose comme seule voie d’accès à la mise au jour du dire « qui reste oublié derrière ce qui se dit dans ce qui s’entend » (LACAN), échappant ainsi à tout savoir prétendant le maîtriser en prônant explicitement ou implicitement l’exclusion de l’inconscient en tant qu’il assure le succès de ce qui échappe et soutient par là même l’existence de tout être parlant.

Toutes les proclamations qui invoquent le savoir, notamment celui qui se réclame de la science pour suturer la béance inhérente à la moebianité de l’articulation entre RSI, se veulent « progressistes ». Mais bien souvent, elles finissent par rejoindre l’irresponsabilité qui consiste à bafouer la structure du sujet, visée explicitement ou implicitement comme l’obstacle majeur à la complétude de tout un chacun, dont la liberté et la souveraineté doivent consister à s’affranchir de cette « tare » qu’est la castration symbolique, inhérente au statut de « parlêtre ». La béance qui est au fondement de ce dernier, fait écho et entre en résonance avec le signifiant en tant qu’il s’impose en même temps que le « meurtre de la chose » pour mobiliser « la pulsion de mort », nécessaire à l’existence, désormais soustraite en grande partie à l’ordre de la nature grâce à l’ordre symbolique qui la subvertit en conférant au vide une valeur fonctionnelle indiscutable. Mais ce dernier ne peut être mis au jour et en évidence qu’à partir du moment où ce qui prétend le combler, laisse apparaitre des éléments qui y renvoient et qui appellent à un évidement de ce qui le contient et l’enserre. En l’explicitant et en le mettant au jour à partir des effets qu’il produit, ce qui prétendait le suturer se dégrade et se dissout, favorisant alors l’advenue de significations nouvelles. Elles révèlent qu’elles procèdent et se soutiennent du « non-rapport » dont l’occultation aggrave l’inhibition intellectuelle qui contribue à renforcer des points de vue autorisés par le savoir sphérique, de type scolastique, académique et institutionnalisé.

Le « non-rapport », instauré par « le meurtre de la chose », assure la subsomption par le signifiant de l’absence définitive de celle-ci, laquelle se voit représentée désormais de façon métaphorique sans pour autant que sa totalité ni son entièreté ne soient restituées. Ce « non-rapport » instaure le « mi-dit » et induit un « rapport d’exclusion interne » qui obvie à toute « extraterritorialité ». Il promeut le « hors point de vue » en confirmant l’inscription décisive et irréversible dans l’ordre symbolique dont les conséquences se heurtent inévitablement à la raison du moi. Les quêtes prédicatives dont le caractère sphérique est de plus en plus affirmé, surtout si le contexte socio-politique le permet en les mettant en concurrence, s’avèrent de moins en moins propices et favorable à leur évidement. Dans un tel contexte, il y a fort à parier que les symptômes dont se repaissent les savoirs prédicatifs mis à l’honneur par une société, à un moment donné de l’évolution des rapports sociaux qu’elle génère, connaissent de fortes aggravations ainsi qu’une chronicisation iatrogénique de plus en plus invalidante.

L’écart, le vide ou la béance, provoqués par la disparition de l’essence des choses inhérente à leur nomination, donnent une solide consistance à ce qui se présente dès lors comme une impossibilité et un interdit intransgressible, et ce, malgré les viols imaginaires qui ne manquent ni ne cessent, au-delà des impératifs moraux et sociaux. Cet interdit sous-tend « le discord » et confère à la négation un pouvoir dont la positivité débouche sur une éthique dont la radicalité est inébranlable. Dermed, les rapports entre « l’avoir et l’être » sont dorénavant déterminés et lestés par ce vide qui les oriente vers une voie subversive et hétérodoxe : l’ontologie « naturelle » ou « originaire » imaginarisée par « l’être » sous forme d’une donnée indiscutable, révèle en définitive des défauts que les quêtes « d’avoir », sous forme de convoitises objectales diverses, finissent par montrer qu’elles sont incapables de les combler et de les suturer en raison d’une impossibilité essentielle et infranchissable, qui a le mérite de préserver le désir. Cette impossibilité fait force de loi structurale, et rappelle l’omniprésence du « non-rapport », congruent de « l’objet a ». Dermed, « l’avoir », sur fond de manque d’objet qui compromet la complétude imaginaire, motive toute relation objectale qui, même si elle engage l’amour, finit par buter sur des ratages rappelant le « non-rapport ». Ils libèrent des illusions que nourrissent les suppléances et autres prothèses objectales, destinées à combler le manque et à occulter l’objet a, « cause du désir ».

Les idéologies dominantes poussent à la folie, c’est-à-dire à l’irresponsabilité, en toute méconnaissance de cause, sous des prétextes fallacieux dictés par les impératifs ontologiques que partagent des conceptions dites progressistes avec d’autres idéologies plus franchement réactionnaires. Sur le plan socio-historique, comme le montrent les derniers travaux de Johann CHAPOUTOT (« Les irresponsables ». Grasset.2025), la collusion des « centristes » libéraux-autoritaires et des pires réactionnaires nazis a pu avoir lieu en Allemagne avant le déclenchement de la deuxième guerre mondiale, et l’immonde « solution finale ». Ce genre de coalitions peut se répéter de nouveau en ces années funestes de 2024 /25 où la « folie », conséquente de l’irresponsabilité, fait rage !

La préparation au déferlement de la mort est insidieuse et pernicieuse : sous couvert d’humanisme, de nombreux discoursen apparence opposés, voire antagoniques- ne veulent rien savoir du sujet. Ils sont annonciateurs de la mort que certains (es) préfèrent à la faille qui soutient l’existence et renvoie à la castration symbolique inhérente à la dépendance du signifiant et à l’ancrage définitif dans l’ordre symbolique. S’appuyer sur ce dernier devient à mon sens une nécessité pour lutter et mettre en échec le mode de production hégémonique qui corrompt toute la planète en prônant, avec des dérives de plus en plus fascistes, l’hypertrophie mégalomaniaque de tous ceux et de toutes celles qui ne souffrent pas la structure du sujet et la dimension de l’impossibilité structurale qu’elle met en jeu pour s’opposer radicalement à la « folie » résumée selon moi en ces termes : Plutôt la mort que la pulsion de mort et la castration inhérentes à l’incomplétude du symbolique !

Tel est le mot d’ordre actuel, répandu par nombre d’ « irresponsables » un peu partout dans le monde, d’autant que leur « folie » est soutenue par la prédicativité scientifique qui les aide à mieux « bétonner » les fictions extensionnelles (S2) et les cliver ou les dissocier de l’intension (S1), de laquelle elles dépendent et qui les renvoie immanquablement à l’inconscient et à son échappement concret, effectif et conséquent.

Si le discours analytique exige une radicalité, c’est bien celle qui consiste à tenir compte des S2 à partir desquels la rencontre avec S1devient possible : l’articulation de l’intension avec les extensions est rendue effective grâce à la « faille » (à l’œuvre avec l’objet a) qui constitue ces dernières et provient de leur dépendance du signifiant. La « compactification » (LACAN) de ce défaut structural sert en fait à consolider l’étayage d’une existence protégée contre la « folie ». Elle implique une radicalité qui ne cesse d’affirmer la négation propre à l’inconscient en tant qu’elle reconstitue sans arrêt la réalité psychique à partir de cette dialectique spécifique qui noue entre elles les extensions et l’intension, sans que celles-là se délestent de celle-ci, même si elles ont tendance à l’oublier et à la méconnaître. Cette dialectique présente la particularité de préserver le vide qui assure l’opération de la mise en continuité (littoralité) entre ce qui est distinct (localement) et ce qui est fondamentalement identique (globalement). Elle concrétise l’asphéricité tout en instaurant plus assurément la dimension de l’impossibilité qui sous-tend et nourrit l’incomplétude due à la dépendance du signifiant à laquelle la parole renvoie sans relâche. Par conséquent, cette asphéricité n’est aucunement une donnée immédiate, apportée par un savoir quel qu’il soit, placé sous la domination de la raison bilatère (sphérique). Elle procède d’un travail de déconstruction de la sphéricité qui tend à la refouler ou à la forclore, mais dont elle porte les marques de toute façon, pour peu qu’on donne l’occasion aux discours qui n’en veulent rien savoir de proposer leurs développements en tant qu’ils favorisent de proche en proche sa mise en évidence plus explicite. C’est sur la base de cette considération théorique que j’entends la célèbre formule freudienne : « Wo es war, soll ich werden », traduite par LACAN : « Là où c’était, dois-je advenir » !

La topologie comme la parole ne transcendent d’aucune façon le primat du signifiant et ses conséquences. L’une et l’autre rendent compte, avec des représentations et des configurations différentes, d’un même fondement qui renvoie immanquablement à l’ordre symbolique et à son incomplétude, source de progrès. Leur structure, fondée sur la logique signifiante, récuse toute idéalisation qui ressortit plutôt aux illusions que l’imaginaire met en place, défiant ainsi le signifiant qui les détermine en dernière instance et les confronte au réel, dont l’impossibilité rédhibitoire à se laisser maîtriser ou à « dhommestiquer » se concrétise par des effets manifestes qui présentifient son échappement et confirment l’incomplétude du symbolique.

L’hétérodoxie apportée par le discours analytique, réside dans la mise en avant et dans l’explicitation des rapports entre cette incomplétude et ce qui donne consistance à l’échappement. La « compactification de la faille » (LACAN) qui incomplète et enrichit en même temps caractérise la structure du sujet en tant qu’elle est marquée d’un défaut nécessaire à l’existence, lequel défaut articule le désir à un interdit qui persiste, malgré toutes les transgressions possibles et imaginables que les idéologies prédicatives encouragent La parole qui renvoie au langage et met en valeur le signifiant permet à l’interdit, au titre de la négation essentielle qui fait écho à l’incomplétude du symbolique, de se doter d’un statut qui le rend invulnérable aux diverses transgressions, au point qu’il met en échec ce qui prétend le mettre à bas. Même les pathologies « lourdes », issues de choix de positions subjectives , inévitablement dépendantes de la structure du sujet, ne peuvent en venir à bout. N’en déplaise à ceux et à celles qui, comme Fréderic LORDON et Sandra LUCBERT dans leur ouvrage intitulé « Pulsion » (La Découverte.2025), croient promouvoir une « psychanalyse matérialiste » en dévoyant le « motérialisme » (LACAN) qui la caractérise, pour nous livrer en fin de compte une psychologie génétique, exclusive de l’inconscient au sens freudien. En déliant les différentes pathologies des rapports qu’elles entretiennent avec la structure du sujet, et en ne tenant pas compte des choix de positions subjectives en lien avec le « non-rapport », ces deux auteurs s’enlisent dans une ontologie qui récuse la logique paradoxale que la moebianité asphérique mobilise. Dermed, en excluant la temporalité fondée sur la « présentification de l’absence », seule la chronologie est privilégiée, et le « temps logique » qui renvoie à la structure du sujet est complètement évincé. Aussi, la psychoseen référence aux travaux de Félix GUATTARI- ne saurait représenter une forme d’opposition au système capitaliste et une modalité de lutte contre les institutions oppressives et ségrégatives que ce mode de production développe dans une société, en s’appuyant sur la science et tout savoir qui privilégie la raison bilatère. La soumission à cette logique sphérique que commande la quête ontologique, infléchit considérablement la portée prétendument progressiste de telles constructions théoriques, montrant peu de considération pour la signifiance. Dermed, le concept central de pulsion se voit dévoyé et galvaudé en raison de sa déliaison et sa désarticulation d’avec le « non-rapport » que promeut et fait valoir sans cesse l’inconscient en tant qu’il en est le nom principal. A mon avis, la récusation du « non-rapport » équivaut à celle de l’inconscient, quelles que soient les contorsions théoriques de type sphérique auxquelles on peut s’adonner.

Le projet ontologique, dit « progressiste », proposé dans cet ouvrage qui se réfère explicitement à la psychanalyse, bafoue la structure du discours analytique tel que LACAN l’a formalisé, et finit en bout de course par décrier l’inconscient, en réduisant l’œuvre freudienne à une psychologie sociale hostile à toutes les négations induites par ce dernier. La dépendance de chaque être parlant (et de tous) à l’ordre symbolique -défini et caractérisé par son incomplétude, source d’ imprédicativité essentielle, mais non exclusive de prédicativité- est écartée au profit de conceptions psychologiques dont la logique sphérique prétend garantir une ontologie sans faille. Quant à la récursivité, qui assure la dialectique entre prédicativité et imprédicativité, selon le principe logique de l’une pas sans l’autre, et inversement, elle semble totalement étrangère à ce genre de conceptions théoriques. Ll’hétérodoxie qu’elle promeut, s’avère incompatible avec des objectifs considérés comme progressistes parce qu’ils véhiculent une autre prédicativité à visée tout aussi ontologique, qui serait partagée par la majorité des masses, sensibles à leur contenu plus humaniste. Or, en les maintenant dans une méconnaissance de l’inconscient, certes plus « confortable », elle les enferme dangereusement dans une raison sphérique ou bilatère, toujours grosse de dérives mortifères. Prétendre « dompter » l’inconscient parce qu’il est le vecteur de la faille constitutive du sujet, revient à renforcer l’aliénation sociale au détriment de l’aliénation signifiante qui soutient la structure subjective.

Les troubles psychopathologiques peuvent offrir l’occasion de s’affranchir de cette raison sphérique et d’ouvrir de nouvelles perspectives à l’intelligence (lecture entre les lignes) que suscite la « docte ignorance », prônée par LACAN pour soutenir la tâche analytique qui ne se propose aucunement de guérir de « l’incomplétude du symbolique » et de toutes ses conséquences existentielles. « Les psychopathologies » constituent les différentes métaphorisations possibles que tout un chacun est amené à construire pour intégrer ou bien exclure -selon des degrés et des modalités différents- le « non-rapport », fondateur de la structure du sujet. Parvenir à admettre et à reconnaître l’impact du sujet -non sans efforts, parfois intenses- c’est accepter enfin qu’il est lui-même la métaphore de ce non-rapport, si nécessaire à l’existence. La récursivité n’est possible à mon avis que si l’imprédicativité, fondée sur la négation propre à l’inconscient, est mise en jeu grâce au travail d’évidement que permettent les extensions fictionnelles constitutives d’une conception qui ne peut se passer du signifiant et de sa logique, qui bat en brèche toute prétention ontologique : pas de sujet (de l’inconscient) sans Autre barré ! Sinon, c’est la singularité qui « trinque » et la perversion de l’illusoire unité groupale qui triomphe et relègue « l’unarité » (LACAN) aux oubliettes. L’aliénation sociale prend alors le pas sur l’aliénation signifiante qu’elle ne cesse de méconnaitre tout en bafouant la singularité, fondée sur le partage de l’incomplétude du symbolique. La séparation, prenant appui sur l’aliénation, assure la production de métaphores qui n’épuisent pas la métonymie issue de ce que « le signifiant ne peut (impossibilité) se signifier lui-même ». Cette impossibilité fait lien et assoit l’articulation signifiante de telle sorte que la complémentarité, consistant à recourir à un autre signifiant, n’apporte aucune complétude. Elle confirme l’incomplétude essentielle et laisse ouvertes toutes les possibilités pouvant la mettre en évidence.

La sphéricité ontologique, soutenue par les productions extensionnelles, est alors profondément altérée par la logique du signifiant qui, en mettant au jour l’intension, introduit une logique négative, d’autant plus féconde qu’elle permet de poser en termes nouveaux la problématique des rapports entre savoir et vérité. Le « non-rapport » fait échec à toute fétichisation objectale et enrichit la satisfaction pulsionnelle en l’articulant à l’objet a qui, parce qu’il cause le désir, libère les pulsions de l’emprise du fantasme, lequel tend à pousser aux transgressions en vue de défier, voire de faire échec à la négation de l’inconscient à l’œuvre dans l’interdit et la loi du désir. Celle-là même qui transcende toutes les lois sociales, lesquelles s’avèrent incapables de la contraindre et de la dominer, même si elles lui font subir nombre de distorsions à partir de leurs logiques et raisons propres, afin d’exclure l’inconscient en tant qu’il renvoie à une altérité réfractaire à la xénopathie dominante. Celle-ci atteint son paroxysme lorsqu’elle engendre une lâcheté sans pareille qui récuse en vérité l’altérité liée à l’inconscient et produit une haine de soi dont la résolution se trouve dans une identification imaginaire groupale, de type nationaliste et/ou ethno-confessionnel.

La confusion entre l’aliénation signifiante et l’aliénation sociale, en raison même du rejet de l’Autre et de la barre qu’il porte, est alors à son comble ! Aussi, l’enjeu existentiel se résume-t-il à faire un choix de position subjective permettant de clarifier les rapports entre ces deux aliénations et la place accordée à l’Autre en leur sein. Autrement dit, comment préserver l’incomplétude du symbolique en s’inscrivant dans des rapports sociaux qui ont tendance à la disqualifier comme une « tare ». Le concept freudien de castration est perverti, et l’ordre symbolique est ravalé au rang de limite insupportable (« castratrice ») qui entrave les pouvoirs d’autonomie et de souveraineté de tout un chacun. L’impératif catégorique porte alors sur les efforts à fournir pour s’en affranchir pour réaliser son « être ». Dès lors, l’humanisme, fondé sur « l’Autre barré », c’est-à-dire sur la négation mise en jeu par l’altérité spécifique propre à l’inconscient, s’avère fondamentalement différent de celui que véhiculent les conceptions prédicatives, engoncées dans une ontologie de mauvais aloi. Elles n’ont de cesse de récuser le discours analytique, même si elle laisse accroire qu’elle s’en inspire.

Dans l’aire de l’inconscient, aucun être parlant n’est étranger à la dépendance du signifiant ni à l’appartenance à l’ordre symbolique. Certes, certaines manifestations peuvent susciter une « inquiétante étrangeté », mais elle est liée aux errements que provoquent les transgressions de l’inconscient, au premier rang desquelles apparaît l’exclusion du désir. Fondé sur l’objet a qui soutient le « déclassement » ou la « désidéalisation » des objets qui prennent, grâce au fantasme, une valeur agalmatique, le désir est en quelque sorte le témoin essentiel du « non-rapport ». La dissipation de l’éblouissement agalmatique des objets, peut accompagner la déconstruction et la destitution des institutions qui développent un savoir qui ne veut rien savoir de cet objet a en tant qu’il est à la source de fictions inévitables mais « évidables ».

Les résistances mises en œuvre, pour s’opposer à tout évidement tenant compte de la signifiance, proviennent en général de « coagulations » groupales, unies par le rejet du vide commun à tous les « êtres parlants », et partant, par la haine vouée à la négation inhérente à l’inconscient en tant qu’il promeut le signifiant du manque dans l’Autre (l’Autre barré congruent du sujet). L’érosion dégradante de cette négation est pathognomonique des discours qui « diabolisent » l’altérité en la dissociant de l’inconscient en vue de faire miroiter une prédicativité enfin « libérée » de l’imprédicativité qui la fonde et la détermine en dernière instance. Le sujet de l’inconscient soutient le « hors point de vue » en entretenant constamment la signifiance, de sorte qu’aucune théorie prédicativo-ontologique ne parvient à l’épuiser, quels que soient les prétentions et les prétextes qu’elle peut mettre en avant pour que l’agrégation groupale démente « le collectif (qui) n’est rien, que le sujet de l’individuel » (LACAN). En récusant « l’unarité », l’unité groupale imaginaire mobilise un amour qui défie et défait « l’a-mur » (LACAN), au risque d’éradiquer la singularité en tant qu’elle représente des modes particuliers d’expression et de partage de la commune « incomplétude du symbolique » : « l’insu que sait de l’un-bewusst, s’aile à mourre » / l’insuccès de l’une-bévue, c’est l’amour » (LACAN).

 

Amîn HADJ-MOURI

31/01/25

« IL N’Y A PAS DE METALANGAGE » (LACAN),

PAS PLUS QU’IL N’Y A D’« EXTRATERRITORIALTE » !

 

C’est parce que la parole témoigne de la signifiance tout en faisant écho à la structure du sujet, qu’elle contient et véhicule la négation fondamentale qui s’oppose à tout métalangage prétendant suturer l’incomplétude propre au symbolique. Le symbolique se soutient de cette articulation dialectique spécifique qu’est la moebianité pour s’associer aux deux autres dimensions : l’imaginaire et le réel, sans lesquelles il ne conserverait pas sa particularité ni sa raison d’être. Invoquer la topologie et laisser croire qu’elle pourrait suppléer à cette incomplétude structurale, (« béance causale » LACAN) revient à dénoncer et à dénier l’inconscient en tant qu’il s’oppose radicalement à toute xénopathie et exclut cette « hommosexualité » qui rejette la féminité induite par la fonction paternelle. Un tel projet pervers consiste à maudire le « mi-dit » et à « médire » du dire qui fait échec à toute promesse de suture de l’écart irréductible entre le signifiant et le signifié. L’aire du signifiant implique des errances qui témoignent de l’absence irrévocable de toute « extra-territorialité » chez les « êtres parlants », (cf. les « erres » que Fernand DELIGNY travaille avec certains enfants autistes et psychotiques), nullement réductibles à leur seule appartenance ethnique et/ou confessionnelle qui nourrit la paranoïa et la débilité, sources d’errements funestes et mortifères. Ces errances dans le champ symbolique sont d’autant plus fécondes qu’elles se heurtent aux limites infranchissables que le signifiant impose en tant qu’elles sont indispensables pour configurer des réels différents qui traduisent tous une impossibilité : celle d’être outrepassés et transgressés, même si c’est sous la forme de pathologies portant gravement atteinte à la structure du sujet.

L’ineptie théorique que représente le recours à une topologie dégradée en « métalangage », porte gravement préjudice au discours analytique et pervertit la pratique qu’il détermine et soutient. La topologie ne saurait arrêter définitivement les errements provoqués par la prédicativité ontologique, dont la présence est constante et nécessaire pour créer les conditions favorables à son évidement. Or, ce dernier, comme processus, n’est possible que par les biais qu’offre la parole pour qu’advienne un autre discours dont l’apport principal consiste en la mise en valeur de la signifiance en tant qu’elle est fondée précisément sur cette incomplétude du symbolique. Cette signifiance est induite par le dire qui s’efface dans l’objectivation qu’il engendre, et reste insu, mais non sans effets cependant. Elle reste implicitement active derrière toute objectalisation extensionnelle et peut éviter au processus d’objectivation de s’abîmer dans une réification psychotique, hermétiquement réfractaire à toute dialectique asphérique, malgré les effets plus ou moins probants du « troumatisme » causé par l’ancrage dans l’ordre symbolique.

Est-ce que ce qui ressortit fondamentalement à la structure du sujet et qui induit un insu insaisissable en soi, mais appréhendable par ses effets, est-il « soluble » dans un savoir prétendant maîtriser cet insu issu de la dépendance du signifiant ? La dialectique asphérique que cette dépendance peut apporter provient du « mi-dit » que l’articulation signifiante implique et propose comme seule voie d’accès à la mise au jour du dire « qui reste oublié derrière ce qui se dit dans ce qui s’entend » (LACAN), échappant ainsi à tout savoir prétendant le maîtriser en prônant explicitement ou implicitement l’exclusion de l’inconscient en tant qu’il assure le succès de ce qui échappe et soutient par là même l’existence de tout être parlant.

Toutes les proclamations qui invoquent le savoir, notamment celui qui se réclame de la science pour suturer la béance inhérente à la moebianité de l’articulation entre RSI, se veulent « progressistes ». Mais bien souvent, elles finissent par rejoindre l’irresponsabilité qui consiste à bafouer la structure du sujet, visée explicitement ou implicitement comme l’obstacle majeur à la complétude de tout un chacun, dont la liberté et la souveraineté doivent consister à s’affranchir de cette « tare » qu’est la castration symbolique, inhérente au statut de « parlêtre ». La béance qui est au fondement de ce dernier, fait écho et entre en résonance avec le signifiant en tant qu’il s’impose en même temps que le « meurtre de la chose » pour mobiliser « la pulsion de mort », nécessaire à l’existence, désormais soustraite en grande partie à l’ordre de la nature grâce à l’ordre symbolique qui la subvertit en conférant au vide une valeur fonctionnelle indiscutable. Mais ce dernier ne peut être mis au jour et en évidence qu’à partir du moment où ce qui prétend le combler, laisse apparaitre des éléments qui y renvoient et qui appellent à un évidement de ce qui le contient et l’enserre. En l’explicitant et en le mettant au jour à partir des effets qu’il produit, ce qui prétendait le suturer se dégrade et se dissout, favorisant alors l’advenue de significations nouvelles. Elles révèlent qu’elles procèdent et se soutiennent du « non-rapport » dont l’occultation aggrave l’inhibition intellectuelle qui contribue à renforcer des points de vue autorisés par le savoir sphérique, de type scolastique, académique et institutionnalisé.

Le « non-rapport », instauré par « le meurtre de la chose », assure la subsomption par le signifiant de l’absence définitive de celle-ci, laquelle se voit représentée désormais de façon métaphorique sans pour autant que sa totalité ni son entièreté ne soient restituées. Ce « non-rapport » instaure le « mi-dit » et induit un « rapport d’exclusion interne » qui obvie à toute « extraterritorialité ». Il promeut le « hors point de vue » en confirmant l’inscription décisive et irréversible dans l’ordre symbolique dont les conséquences se heurtent inévitablement à la raison du moi. Les quêtes prédicatives dont le caractère sphérique est de plus en plus affirmé, surtout si le contexte socio-politique le permet en les mettant en concurrence, s’avèrent de moins en moins propices et favorable à leur évidement. Dans un tel contexte, il y a fort à parier que les symptômes dont se repaissent les savoirs prédicatifs mis à l’honneur par une société, à un moment donné de l’évolution des rapports sociaux qu’elle génère, connaissent de fortes aggravations ainsi qu’une chronicisation iatrogénique de plus en plus invalidante.

L’écart, le vide ou la béance, provoqués par la disparition de l’essence des choses inhérente à leur nomination, donnent une solide consistance à ce qui se présente dès lors comme une impossibilité et un interdit intransgressible, et ce, malgré les viols imaginaires qui ne manquent ni ne cessent, au-delà des impératifs moraux et sociaux. Cet interdit sous-tend « le discord » et confère à la négation un pouvoir dont la positivité débouche sur une éthique dont la radicalité est inébranlable. Dermed, les rapports entre « l’avoir et l’être » sont dorénavant déterminés et lestés par ce vide qui les oriente vers une voie subversive et hétérodoxe : l’ontologie « naturelle » ou « originaire » imaginarisée par « l’être » sous forme d’une donnée indiscutable, révèle en définitive des défauts que les quêtes « d’avoir », sous forme de convoitises objectales diverses, finissent par montrer qu’elles sont incapables de les combler et de les suturer en raison d’une impossibilité essentielle et infranchissable, qui a le mérite de préserver le désir. Cette impossibilité fait force de loi structurale, et rappelle l’omniprésence du « non-rapport », congruent de « l’objet a ». Dermed, « l’avoir », sur fond de manque d’objet qui compromet la complétude imaginaire, motive toute relation objectale qui, même si elle engage l’amour, finit par buter sur des ratages rappelant le « non-rapport ». Ils libèrent des illusions que nourrissent les suppléances et autres prothèses objectales, destinées à combler le manque et à occulter l’objet a, « cause du désir ».

Les idéologies dominantes poussent à la folie, c’est-à-dire à l’irresponsabilité, en toute méconnaissance de cause, sous des prétextes fallacieux dictés par les impératifs ontologiques que partagent des conceptions dites progressistes avec d’autres idéologies plus franchement réactionnaires. Sur le plan socio-historique, comme le montrent les derniers travaux de Johann CHAPOUTOT (« Les irresponsables ». Grasset.2025), la collusion des « centristes » libéraux-autoritaires et des pires réactionnaires nazis a pu avoir lieu en Allemagne avant le déclenchement de la deuxième guerre mondiale, et l’immonde « solution finale ». Ce genre de coalitions peut se répéter de nouveau en ces années funestes de 2024 /25 où la « folie », conséquente de l’irresponsabilité, fait rage !

La préparation au déferlement de la mort est insidieuse et pernicieuse : sous couvert d’humanisme, de nombreux discoursen apparence opposés, voire antagoniques- ne veulent rien savoir du sujet. Ils sont annonciateurs de la mort que certains (es) préfèrent à la faille qui soutient l’existence et renvoie à la castration symbolique inhérente à la dépendance du signifiant et à l’ancrage définitif dans l’ordre symbolique. S’appuyer sur ce dernier devient à mon sens une nécessité pour lutter et mettre en échec le mode de production hégémonique qui corrompt toute la planète en prônant, avec des dérives de plus en plus fascistes, l’hypertrophie mégalomaniaque de tous ceux et de toutes celles qui ne souffrent pas la structure du sujet et la dimension de l’impossibilité structurale qu’elle met en jeu pour s’opposer radicalement à la « folie » résumée selon moi en ces termes : Plutôt la mort que la pulsion de mort et la castration inhérentes à l’incomplétude du symbolique !

Tel est le mot d’ordre actuel, répandu par nombre d’ « irresponsables » un peu partout dans le monde, d’autant que leur « folie » est soutenue par la prédicativité scientifique qui les aide à mieux « bétonner » les fictions extensionnelles (S2) et les cliver ou les dissocier de l’intension (S1), de laquelle elles dépendent et qui les renvoie immanquablement à l’inconscient et à son échappement concret, effectif et conséquent.

Si le discours analytique exige une radicalité, c’est bien celle qui consiste à tenir compte des S2 à partir desquels la rencontre avec S1devient possible : l’articulation de l’intension avec les extensions est rendue effective grâce à la « faille » (à l’œuvre avec l’objet a) qui constitue ces dernières et provient de leur dépendance du signifiant. La « compactification » (LACAN) de ce défaut structural sert en fait à consolider l’étayage d’une existence protégée contre la « folie ». Elle implique une radicalité qui ne cesse d’affirmer la négation propre à l’inconscient en tant qu’elle reconstitue sans arrêt la réalité psychique à partir de cette dialectique spécifique qui noue entre elles les extensions et l’intension, sans que celles-là se délestent de celle-ci, même si elles ont tendance à l’oublier et à la méconnaître. Cette dialectique présente la particularité de préserver le vide qui assure l’opération de la mise en continuité (littoralité) entre ce qui est distinct (localement) et ce qui est fondamentalement identique (globalement). Elle concrétise l’asphéricité tout en instaurant plus assurément la dimension de l’impossibilité qui sous-tend et nourrit l’incomplétude due à la dépendance du signifiant à laquelle la parole renvoie sans relâche. Par conséquent, cette asphéricité n’est aucunement une donnée immédiate, apportée par un savoir quel qu’il soit, placé sous la domination de la raison bilatère (sphérique). Elle procède d’un travail de déconstruction de la sphéricité qui tend à la refouler ou à la forclore, mais dont elle porte les marques de toute façon, pour peu qu’on donne l’occasion aux discours qui n’en veulent rien savoir de proposer leurs développements en tant qu’ils favorisent de proche en proche sa mise en évidence plus explicite. C’est sur la base de cette considération théorique que j’entends la célèbre formule freudienne : « Wo es war, soll ich werden », traduite par LACAN : « Là où c’était, dois-je advenir » !

La topologie comme la parole ne transcendent d’aucune façon le primat du signifiant et ses conséquences. L’une et l’autre rendent compte, avec des représentations et des configurations différentes, d’un même fondement qui renvoie immanquablement à l’ordre symbolique et à son incomplétude, source de progrès. Leur structure, fondée sur la logique signifiante, récuse toute idéalisation qui ressortit plutôt aux illusions que l’imaginaire met en place, défiant ainsi le signifiant qui les détermine en dernière instance et les confronte au réel, dont l’impossibilité rédhibitoire à se laisser maîtriser ou à « dhommestiquer » se concrétise par des effets manifestes qui présentifient son échappement et confirment l’incomplétude du symbolique.

L’hétérodoxie apportée par le discours analytique, réside dans la mise en avant et dans l’explicitation des rapports entre cette incomplétude et ce qui donne consistance à l’échappement. La « compactification de la faille » (LACAN) qui incomplète et enrichit en même temps caractérise la structure du sujet en tant qu’elle est marquée d’un défaut nécessaire à l’existence, lequel défaut articule le désir à un interdit qui persiste, malgré toutes les transgressions possibles et imaginables que les idéologies prédicatives encouragent La parole qui renvoie au langage et met en valeur le signifiant permet à l’interdit, au titre de la négation essentielle qui fait écho à l’incomplétude du symbolique, de se doter d’un statut qui le rend invulnérable aux diverses transgressions, au point qu’il met en échec ce qui prétend le mettre à bas. Même les pathologies « lourdes », issues de choix de positions subjectives , inévitablement dépendantes de la structure du sujet, ne peuvent en venir à bout. N’en déplaise à ceux et à celles qui, comme Fréderic LORDON et Sandra LUCBERT dans leur ouvrage intitulé « Pulsion » (La Découverte.2025), croient promouvoir une « psychanalyse matérialiste » en dévoyant le « motérialisme » (LACAN) qui la caractérise, pour nous livrer en fin de compte une psychologie génétique, exclusive de l’inconscient au sens freudien. En déliant les différentes pathologies des rapports qu’elles entretiennent avec la structure du sujet, et en ne tenant pas compte des choix de positions subjectives en lien avec le « non-rapport », ces deux auteurs s’enlisent dans une ontologie qui récuse la logique paradoxale que la moebianité asphérique mobilise. Dermed, en excluant la temporalité fondée sur la « présentification de l’absence », seule la chronologie est privilégiée, et le « temps logique » qui renvoie à la structure du sujet est complètement évincé. Aussi, la psychoseen référence aux travaux de Félix GUATTARI- ne saurait représenter une forme d’opposition au système capitaliste et une modalité de lutte contre les institutions oppressives et ségrégatives que ce mode de production développe dans une société, en s’appuyant sur la science et tout savoir qui privilégie la raison bilatère. La soumission à cette logique sphérique que commande la quête ontologique, infléchit considérablement la portée prétendument progressiste de telles constructions théoriques, montrant peu de considération pour la signifiance. Dermed, le concept central de pulsion se voit dévoyé et galvaudé en raison de sa déliaison et sa désarticulation d’avec le « non-rapport » que promeut et fait valoir sans cesse l’inconscient en tant qu’il en est le nom principal. A mon avis, la récusation du « non-rapport » équivaut à celle de l’inconscient, quelles que soient les contorsions théoriques de type sphérique auxquelles on peut s’adonner.

Le projet ontologique, dit « progressiste », proposé dans cet ouvrage qui se réfère explicitement à la psychanalyse, bafoue la structure du discours analytique tel que LACAN l’a formalisé, et finit en bout de course par décrier l’inconscient, en réduisant l’œuvre freudienne à une psychologie sociale hostile à toutes les négations induites par ce dernier. La dépendance de chaque être parlant (et de tous) à l’ordre symbolique -défini et caractérisé par son incomplétude, source d’ imprédicativité essentielle, mais non exclusive de prédicativité- est écartée au profit de conceptions psychologiques dont la logique sphérique prétend garantir une ontologie sans faille. Quant à la récursivité, qui assure la dialectique entre prédicativité et imprédicativité, selon le principe logique de l’une pas sans l’autre, et inversement, elle semble totalement étrangère à ce genre de conceptions théoriques. Ll’hétérodoxie qu’elle promeut, s’avère incompatible avec des objectifs considérés comme progressistes parce qu’ils véhiculent une autre prédicativité à visée tout aussi ontologique, qui serait partagée par la majorité des masses, sensibles à leur contenu plus humaniste. Or, en les maintenant dans une méconnaissance de l’inconscient, certes plus « confortable », elle les enferme dangereusement dans une raison sphérique ou bilatère, toujours grosse de dérives mortifères. Prétendre « dompter » l’inconscient parce qu’il est le vecteur de la faille constitutive du sujet, revient à renforcer l’aliénation sociale au détriment de l’aliénation signifiante qui soutient la structure subjective.

Les troubles psychopathologiques peuvent offrir l’occasion de s’affranchir de cette raison sphérique et d’ouvrir de nouvelles perspectives à l’intelligence (lecture entre les lignes) que suscite la « docte ignorance », prônée par LACAN pour soutenir la tâche analytique qui ne se propose aucunement de guérir de « l’incomplétude du symbolique » et de toutes ses conséquences existentielles. « Les psychopathologies » constituent les différentes métaphorisations possibles que tout un chacun est amené à construire pour intégrer ou bien exclure -selon des degrés et des modalités différents- le « non-rapport », fondateur de la structure du sujet. Parvenir à admettre et à reconnaître l’impact du sujet -non sans efforts, parfois intenses- c’est accepter enfin qu’il est lui-même la métaphore de ce non-rapport, si nécessaire à l’existence. La récursivité n’est possible à mon avis que si l’imprédicativité, fondée sur la négation propre à l’inconscient, est mise en jeu grâce au travail d’évidement que permettent les extensions fictionnelles constitutives d’une conception qui ne peut se passer du signifiant et de sa logique, qui bat en brèche toute prétention ontologique : pas de sujet (de l’inconscient) sans Autre barré ! Sinon, c’est la singularité qui « trinque » et la perversion de l’illusoire unité groupale qui triomphe et relègue « l’unarité » (LACAN) aux oubliettes. L’aliénation sociale prend alors le pas sur l’aliénation signifiante qu’elle ne cesse de méconnaitre tout en bafouant la singularité, fondée sur le partage de l’incomplétude du symbolique. La séparation, prenant appui sur l’aliénation, assure la production de métaphores qui n’épuisent pas la métonymie issue de ce que « le signifiant ne peut (impossibilité) se signifier lui-même ». Cette impossibilité fait lien et assoit l’articulation signifiante de telle sorte que la complémentarité, consistant à recourir à un autre signifiant, n’apporte aucune complétude. Elle confirme l’incomplétude essentielle et laisse ouvertes toutes les possibilités pouvant la mettre en évidence.

La sphéricité ontologique, soutenue par les productions extensionnelles, est alors profondément altérée par la logique du signifiant qui, en mettant au jour l’intension, introduit une logique négative, d’autant plus féconde qu’elle permet de poser en termes nouveaux la problématique des rapports entre savoir et vérité. Le « non-rapport » fait échec à toute fétichisation objectale et enrichit la satisfaction pulsionnelle en l’articulant à l’objet a qui, parce qu’il cause le désir, libère les pulsions de l’emprise du fantasme, lequel tend à pousser aux transgressions en vue de défier, voire de faire échec à la négation de l’inconscient à l’œuvre dans l’interdit et la loi du désir. Celle-là même qui transcende toutes les lois sociales, lesquelles s’avèrent incapables de la contraindre et de la dominer, même si elles lui font subir nombre de distorsions à partir de leurs logiques et raisons propres, afin d’exclure l’inconscient en tant qu’il renvoie à une altérité réfractaire à la xénopathie dominante. Celle-ci atteint son paroxysme lorsqu’elle engendre une lâcheté sans pareille qui récuse en vérité l’altérité liée à l’inconscient et produit une haine de soi dont la résolution se trouve dans une identification imaginaire groupale, de type nationaliste et/ou ethno-confessionnel.

La confusion entre l’aliénation signifiante et l’aliénation sociale, en raison même du rejet de l’Autre et de la barre qu’il porte, est alors à son comble ! Aussi, l’enjeu existentiel se résume-t-il à faire un choix de position subjective permettant de clarifier les rapports entre ces deux aliénations et la place accordée à l’Autre en leur sein. Autrement dit, comment préserver l’incomplétude du symbolique en s’inscrivant dans des rapports sociaux qui ont tendance à la disqualifier comme une « tare ». Le concept freudien de castration est perverti, et l’ordre symbolique est ravalé au rang de limite insupportable (« castratrice ») qui entrave les pouvoirs d’autonomie et de souveraineté de tout un chacun. L’impératif catégorique porte alors sur les efforts à fournir pour s’en affranchir pour réaliser son « être ». Dès lors, l’humanisme, fondé sur « l’Autre barré », c’est-à-dire sur la négation mise en jeu par l’altérité spécifique propre à l’inconscient, s’avère fondamentalement différent de celui que véhiculent les conceptions prédicatives, engoncées dans une ontologie de mauvais aloi. Elles n’ont de cesse de récuser le discours analytique, même si elle laisse accroire qu’elle s’en inspire.

Dans l’aire de l’inconscient, aucun être parlant n’est étranger à la dépendance du signifiant ni à l’appartenance à l’ordre symbolique. Certes, certaines manifestations peuvent susciter une « inquiétante étrangeté », mais elle est liée aux errements que provoquent les transgressions de l’inconscient, au premier rang desquelles apparaît l’exclusion du désir. Fondé sur l’objet a qui soutient le « déclassement » ou la « désidéalisation » des objets qui prennent, grâce au fantasme, une valeur agalmatique, le désir est en quelque sorte le témoin essentiel du « non-rapport ». La dissipation de l’éblouissement agalmatique des objets, peut accompagner la déconstruction et la destitution des institutions qui développent un savoir qui ne veut rien savoir de cet objet a en tant qu’il est à la source de fictions inévitables mais « évidables ».

Les résistances mises en œuvre, pour s’opposer à tout évidement tenant compte de la signifiance, proviennent en général de « coagulations » groupales, unies par le rejet du vide commun à tous les « êtres parlants », et partant, par la haine vouée à la négation inhérente à l’inconscient en tant qu’il promeut le signifiant du manque dans l’Autre (l’Autre barré congruent du sujet). L’érosion dégradante de cette négation est pathognomonique des discours qui « diabolisent » l’altérité en la dissociant de l’inconscient en vue de faire miroiter une prédicativité enfin « libérée » de l’imprédicativité qui la fonde et la détermine en dernière instance. Le sujet de l’inconscient soutient le « hors point de vue » en entretenant constamment la signifiance, de sorte qu’aucune théorie prédicativo-ontologique ne parvient à l’épuiser, quels que soient les prétentions et les prétextes qu’elle peut mettre en avant pour que l’agrégation groupale démente « le collectif (qui) n’est rien, que le sujet de l’individuel » (LACAN). En récusant « l’unarité », l’unité groupale imaginaire mobilise un amour qui défie et défait « l’a-mur » (LACAN), au risque d’éradiquer la singularité en tant qu’elle représente des modes particuliers d’expression et de partage de la commune « incomplétude du symbolique » : « l’insu que sait de l’un-bewusst, s’aile à mourre » / l’insuccès de l’une-bévue, c’est l’amour » (LACAN).

 

Amîn HADJ-MOURI

31/01/25

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